Brève ferroviaire d'une ligne disparue
C'est l'histoire d'une amie qui me demande sur discord d'enquêter sur une ligne ferroviaire, qui, comme beaucoup d'autres ont fini par disparaître. Il y en a beaucoup comme ça, des lignes qui étaient là, et qui ont disparues. Cette ligne, elle s'y baladais petite, et ne connaissait pas son histoire. Elle se baladait le long de cette voir ferrée désaffectée. Puis le temps est passé et la voie a disparue, les traces restant disparaissent progressivement. Il n'en reste alors qu'un panneau, et une maison de ce croisement de voie. Mais alors, comment est elle disparue, quand et pourquoi? C'est ce qu'on va essayer de chercher. Sur cette intersection de cette petite D84 a Molinons, en Bourgogne-Franche-Comté.
Voir le présent
C'est accompagné du lien vers ce lieu que mon amie m'a orienté sur la piste de cette voie. Ainsi, nous voilà plongé dans la campagne bourguignonne.
On y retrouve très clairement les traces de l'ancienne voie. Ici on a un modèle de maison typique d'un emplacement pour un agent de garde chargé de manoeuver les barrières a l'approche des trains. On en retrouve beaucoup ainsi perdues, seules au milieu de rien, mais qui témoignent d'une histoire.
La végétation est trop dense à présent, en 2024 pour y voir les traces de la voie, mais en remontant sur des prises de vues plus anciennes on y croise encore un bout de rail et des restes de ballast. La voie n'a pas été déconstruite. Elle est restée là.
Sur le côté on retrouve également un panneau de voie rectangulaire sur un poteau en béton typique. Malheureusement sans se rendre sur place, difficile de savoir ce qu'il contient exactement.
En tout cas, de ses propres paroles:
même [si] pendant mon enfance ça circulait déjà plus ferroviairement parlant mais bon...il y avait des rails et un passage quoi
Autour de notre point de départ, on se retrouve dans la ville d'a côté, à Villeneuve l’archevêque, où on croise, une place de la gare, mais sans gare. Un bar restaurant de la gare est toujours là, mais donne clairement pas envie de s'y arrêter... Plutôt l'inverse. Une gare sans gare et une impasse d'une tristesse. Un café de la gare, devant une gare fantôme complètement rasée. Il n'en reste plus que le nom, bien que des camions semblent s'y garer.
En se baladant autour on tombe sur ces silos, qui disposaient vraisemblablement eux d'un raccordement direct à la ligne pour écouler leurs céréales. Chose qui ne risque plus de se dérouler vu l'état.
Bon, un panneau stop existait pour indiquer un risque de traversée de trains sur le site. J'ai bien peur qu'il soit devenu totalement inutile ici. Mais entre la réglementation et les habitudes, il est toujours préférable de faire considérer que la voie est susceptible d'être usée, qu'on ne prenne jamais la mauvaise habitude de traverser ou de se balader sur quelque chose qui semble être abandonné sans l'être.
Bon en l’occurrence ici ils on fait fort: mettre des stop après le raccord privé entre les voies qui s'arrêtent littéralement de part et d'autre de la voie, sans continuité. Donc imaginons qu'un locotracteur installé sur le site industriel sort, il risque de se retrouver sur un véhicule respectant le stop. Vraiment, des génies sur ce coup là...
On vois également 2 voies en plus du raccordement, la voie est donc à deux voies, au moment de sa fermeture, c'en est certain, mais jusqu'à présent aucune trace d'alimentation électrique. La voie n'a donc jamais été exploitée ainsi. En tout cas pas cette portion. Sinon on aurait eu au moins un poteau pour porter la caténaire. Ici, rien du tout. Peut-être une des pistes de sa disparition, bien qu'on ait encore aujourd'hui des lignes non électrifiées partout sur le territoire. Quand on voit la facture pour 1km d'électrification de ligne, ça s'explique bien. C'est pourtant cette électrification qui a boosté bon nombre de liaisons. Sortir le chéquier de plusieurs millions d'euros. L'ordre de grandeur du million d'euro du kilomètre reste un bon ordre de grandeur. Si vous avez ça sous le matelas...
Retrouver son passé
J'ai alors ouvert un des mes outils favoris, openrailwaymap. Un site permettant de retrouver les informations des voies ferrées répertoriées (bien mieux qu'ailleurs) dans les bases de données OpenStreetMap, pour lesquelles il m'arrive de faire des contributions.
On retrouve alors uniquement en étant fortement zoomée la voie ferrée, et on peut en suivre son parcours, de Sens à Troyes.
Pour retrouver le passé de cette ligne, j'ai commencé par me rendre sur le site de geoportail pour y examiner les traces de ce qui est possibles: ainsi on est tombé sur les traces de l'ancienne voie ferrée. Ce qui a permis de la tracer, le long des images d'archives de 1950, et de la voir en activité à cette période. La ligne joignait donc les villes de Sens et de Troyes.
On remarque évidemment deux chose à la vue des derniers éléments. Le premier est qu'une départementale faisait exactement le même tracé déjà en 1950, au sud. On voit cette dernière. Mais si on compare, on vois au dessus la présence de l'A5, qu'on ne retrouve évidemment pas lors des prises de vues de 1950. Ouverte entre 1983 et 1994, aurait-on trouvé notre coupable, ou serait-ce une simple coincidence? D'après wikipédia la mise en service de la section Sens-Troyes de 67,8km à lieu le 24 novembre 1994. Est ce la date de l'arrêt de mort de la ligne, ou était-elle déjà inexploitée avant?
En tout cas en 1948, grâce au site https://remonterletemps.ign.fr on retrouve une photo qui confirme la présence d'une maison à cet endroit là mais elle parait légèrement différente de l'actuelle. Un mystère de plus sur une chose aussi simple qu'une intersection. On trouve même un poste intermédiaire avec lui aussi ça maison, sur un tout petit chemin de campagne. De ce dernier plus rien ne subsiste. Étions nous encore en cantonment manuel à cet époque? Probablement.
En allant chercher d'autres photos, remontant le temps, on voit la ligne en 1976 être là, toujours présente. Mais la maison initiale des années 50 semble avoir changée pour devenir la maison actuelle. Oui, je sais, ce n'est pas facile à voir, mais il faut trouver l'histoire de cette maison et de sa parcelle pour trouver le détail de cette ligne, et possiblement de sa fermeture. Je vous laisse cette vue comparative qui permet de le mettre un peu plus en évidence.
Les traces de ce tracé
En cherchant dans les journaux de la presse quotidienne régionale mis à disposition sur le site de retronews, je suis tombé sur cette première page du quotidien l'Aube du 20 janvier 1842 qui parle du choix d'un tracé pour relier la partie sud à un tracé partant vers Strasbourg. Le journal plaide pour que les liaison ferroviaires soient choisies de passer par Troyes pour cela, et non par Auxerre. Les tracés des lignes a leur établissement sont éminemment politiques. C'était le cas avant, et ça l'est toujours. Il est comprehensible donc de considérer les revendication du quotidien régional de pousser à ce qu'elle passe d'un côté où de l'autre de la région. On entends également l'aspect intéressant à l'établissement de cette ligne. Relier le tracé du Lyon Paris a une ligne partant vers Strasbourg.
Les traces du cadastres
Il y a une base de donnée intéressante pour voir l'historique des découpages des terrains ce sont les bases des cadastres. En nous intéressant à l'endroit on se rends compte que les terrains sont toujours découpés pour la voie ferrée, encore aujourd'hui. Les parcelles cadastrales l'indiquent encore clairement.
L'opendata SNCF
La SNCF a des obligation de publication de données publiques, et joue le jeu de l'opendata. Elle possède notamment une opendata qui est la liste des lignes. Les données des lignes sout disponibles ici et on y retrouve notre ligne et donc sa dénomination officielle. Il s'agit donc pour la SNCF de la ligne 006000, intitulée "Ligne de Coolus à Sens". Une fois ce nom exact trouvé, toute une panoplie de données se libèrent à nous. On retrouve alors son article wikipedia, ainsi que les données wikidata de la ligne qui nous confirment le chemin établi. Elle possédait même le numéro de ligne 26 (Saint-Florentin - Châlons-sur-Marne) alors qu'elle était exploitée par les chemins de fers de l'Est.
Une petite idée de la desserte de ces villes
Juste un petit crochet de retour dans le présent, pour pouvoir faire ce petit trajet de quelques 70km, il faut a présent 4h45 en train, en remontant de Sens à Paris, puis en redescendant. D'ailleurs il faut changer de gare, passant de celle de Bercy, desservant les tracés vers le massif central pour la gare de l'Est. Ca peut sembler anodin, mais sachant que chaque compagnie de chemin de fer avait sa gare avant la fusion en la SNCF. On serait donc peut-être sur une liaison ayant une importance stratégique de relier deux régions de sociétés différentes. Et là, à la fois sa création comme sa fermeture demande de l'approfondissement.
Sinon en 6h13 vous pouvez rejoindre Dijon, puis Culmont, puis ensuite Troyes.
Décidément, ce n'est pas demain que les Auxerrois iront a Troyes autrement qu'en voiture. Quoi qu'il en soit, moi je suis poussé à continuer mes recherches en Ligne...
Quand a t'elle été fermée
C'est la question que tout le monde se pose. Depuis quand cette ligne n'est plus exploitée du tout. Et même la base de cette histoire. Et bien visiblement il y a eu plusieurs rebondissements autour de cette ligne. La réalité est bien moins simple que ce qu'on pourrait s'imaginer. L'autoroute A5 sur ce trajet dans les années 80 aurait fait une bien bonne cible pour l'accuser.
Déjà la section Troyes - Sens était déjà fermée aux voyageurs depuis le 2 octobre 1938, avant la guerre mais subsistait pour des "raisons stratégiques". En 1938, je vous laisse deviner de quoi on parle. De l'industrie, et de la guerre.
Et bien non ce serait trop simple. En 1944 la ligne est bombardée et les ponts du des chemin de fer qui enjambent l'Yonne sont détruit. Ce bombardement américain répété, qui a lieu aux alentours de juin à août 1944 a fortement impacté, comme dans toutes les guerre de hautes intensités, les infrastructures. On a donc le pont notamment de Migennes qui est détruit séparant Joigny et Auxerre de Dijon. D'ailleurs on apprends dans ce même article de presse que les allemands quittant les lieux ont fait exploser un train de carburant au sain de Villeneuve-l’Archevêque. La ligne fut cependant reconstruite... à cet endroit. Avant même la libération le travail de Sape avait détruit bon nombre d'infrastructures.
C'est au niveau de Sens que la reconstruction d'un viaduc détruit enjambant l'Yonne et reliant la gare située d'un côté de la rive rive gauche, excentrée de la Ville, et de Saint-Clément de l'autre côté, permettant de relier Sens à Troyes qui ne fut jamais réalisé.
Ce qui était autrefois une remontée vers un pont pour train est même devenu aujourd'hui une route.
En 1998 elle est officiellement coupée en son sein par un projet de réaménagement du territoire dans la ville de Sens, elle est découpée a plusieurs endroit de la même manière. Ce projet fait suite à son déclassement du réseau à plusieurs endroit. On retrouve les traces de ces déclassement notamment au Journal Officiel de la République Française du 11 octobre 1998 page 15 400. D'autres portions de cette ligne étaient déjà déclassés du réseau nationales, et certain tronçon de voie supprimés.
A partir de ce moment là cette ligne était, déjà quasiment complètement condamnée. Cependant les activités agricoles et de marchandises l'on fait subsister, et notamment... Notre Silo, de Villeneuve-l’Archevêque et son panneau stop mal placé. Qui a tenu jusque 2010.
Du trafic marchandise subsistait à quelques endroits, on retrouve cependant la suppression définitives des passages à niveaux dans des articles. La ligne est dématérialisée à plusieurs endroit et elle est donc devenue définitivement inexploitable. En tout cas, ne pensez jamais à la hate qu'une ligne qui semble abandonnée n'aura jamais de trains dessus, trop d'accidents à cause de ça...
On retrouve en 2018 des photos de l'état de la ligne et de ses vestiges: https://www.cheminots.net/topic/45651-ligne-de-troyes-%C3%A0-sens/
On croise aussi des petits sites persos sur ces lignes oubliées: http://ruedupetittrain.free.fr/lignes/sudest/sens-troyes.htm
En tout cas, si on peut retenir des leçons de cet histoire: Le ferroviaire se fait sur un temps long. Il suffit ainsi qu'un pont non reconstruit dans les années 50 produit une absence d'infrastructure 70 ans plus tard, alors que l'on cherche à rendre le train attrayant. Mais la politique à du mal à se positionner sur le temps long. Des décisions qui ont des impacts dans des décennies sont toujours plus complexes à prendre. Mais ainsi va le chemin de fer. La priorité à été faite aussi dans les années 70 vers les lignes à grande vitesses, dont une passe a proximité. Ces choix politiques là ont des impacts a très long termes. Quand aux infrastructures, elles sont toujours les cibles prioritaires lors des guerres.